« Travailler pour l’environnement dans les Suds : professionnalisation, bureaucratisation et instrumentation au sein des politiques d’aides au développement ».
Auteur(s) : Boughedada Thibault ; Reflé Juliette ; Winsback Paul ;
Résumé en Français
L’environnement est aujourd’hui un objet établi des recherches en sciences sociales du développement, et les politiques qui y sont consacrées constituent un observatoire des articulations entre État et développement (Siméant, 2019). Dans les pays des Suds, la mise à l’agenda politique des enjeux environnementaux, et particulièrement ceux liés au changement climatique, est le produit de dynamiques d’intégration sectorielles portées par des configurations d’acteurs internationaux, nationaux et locaux (Boutroue, Hrabanski, Diao Camara, 2022). Pour interroger empiriquement la réalité et les effets de ces actions, nous souhaitons porter une attention particulière aux « professionnels de l’environnement ». Cette entrée vise à analyser les profils et les pratiques de ces agents, qu’ils soient bureaucrates d’administrations nationales ou internationales (Rebeyrolles, 2020 ; Winsback, 2022), experts privés du foncier (Boughedada, 2021) ou de l’eau (Bourblanc, 2018), agents de parcs nationaux (Diallo, 2019), street level bureaucrats ou militants d’organisations paysannes (Hochstetler, Keck, 2007 ; Thivet, 2015 ; Allain, 2019).
Argumentaire en Français
Nous faisons l’hypothèse que l’analyse de l’activité et du profil de ces agents contribue à saisir la diversité des ingénieries environnementales dans les pays des Suds, à la fois dans leur dimension idéelle (discursive, imaginaire) et matérielle (réformes, administration ordinaire, instruments). Alors que les termes de « transition », « adaptation », « sobriété » ou encore « résilience » sont devenus particulièrement présents dans les politiques publiques des pays du Nord, il s’agit de voir par-là les modalités de circulation et la signification que ces termes acquièrent au contact des acteurs qui se les approprient en contextes développementistes néo-libéraux. Cette attention aux champs lexicaux permet de mettre en avant les considérations normatives associées aux représentations des professionnels de l’environnement et d’insister sur leur pluralité. Cette perspective croisée entre environnement et développement, en abordant les profils des acteurs, leurs socialisations, stratégies, quête de légitimité, mais aussi les modèles de transition, enjeux de financement et de mise en œuvre, ouvre la voie aux débats autour des conditions de fabrique de l’action publique environnementale dans les Suds. Les contributions pourront ainsi traiter de ces « professionnels de l’environnement » à partir de cas empiriques portant sur les questions agro-écologiques, énergétiques, d’aménagement urbain, de gestion foncière, de l’eau ou de la biodiversité, de mobilités, de conservations, etc. Les contributions pourront être d’une variété d’approches théoriques et disciplinaires, de la socio-anthropologie du développement, à la science politique, la géographie critique, ou d’approches interdisciplinaires.
Trois axes de discussions se distinguent :
Un premier axe interroge l’essor de nouvelles aspirations et registres professionnels. En quoi les enjeux environnementaux sont-ils valorisables sur le marché professionnel du développement ? Comment les questions environnementales leur permettent de capter de nouveaux financements ? Quelles sont les possibilités de « faire carrière » par et pour l’environnement ?
Un deuxième axe examine ce que l’étude de ces professionnels permet de dire des dynamiques plurielles d’institutionnalisation des enjeux environnementaux dans les Sud(s). Il s’agit de voir dans quelle mesure ces acteurs déclinent ou non des modèles d’ingénierie inspirés de l’extérieur (catégories, instruments, etc.) et comment s’opèrent les dynamiques d’intégration des enjeux environnementaux dans différents secteurs d’action publique. Une attention particulière pourra se porter sur le travail militant qui cherche à imposer une prise en considération accrue de ces enjeux par l’action publique.
Un dernier axe porte sur les dynamiques de (dé)politisation et les effets de concurrences avec d’autres enjeux, notamment ceux à fortes externalités polluantes comme les activités extractives. En quoi les enjeux environnementaux et climatiques font l’objet d’un travail de (dé)politisation par certains acteurs au sein des politiques de développement ? Cet axe invite ainsi à considérer ces acteurs et leurs ingénieries comme un cadre d’analyse du rôle des coalitions et rapports de forces.
Bibliographie indicative
- Allain, Mathilde. « Les jeux d’échelles de l’action collective : militantisme local et solidarité internationale dans les campagnes de Colombie », Critique internationale, vol. 82, no. 1, 2019, pp. 51-73.
- Boughedada, Thibault. « La gouvernance urbaine « les pieds dans l’eau ». Le foncier urbain cotonois à l’épreuve des matérialités environnementales au Bénin », Revue internationale des études du développement, vol. 247, no. 3, 2021, pp. 175-198.
- Bourblanc, Magalie. « Sous-traiter au sein de l’administration publique de l’eau en Afrique du Sud. Les métamorphoses d’un réseau de politique publique », Gouvernement et action publique, vol. ol7, no. 2, 2018, pp. 75-94.
- Boutroue, Bétina, Marie Hrabanski, et Astou Diao Camara. « Gouverner l’adaptation de l’agriculture au changement climatique par projet ? Les limites de la climatisation des politiques agricoles au Sénégal », Gouvernement et action publique, vol. ol11, no. 3, 2022, pp. 99-125.
- Hochstetler, Kathryn, et Margaret E. Keck, Greening Brazil. Environmental Activism in State and Society, Duke University Press, Durham & Londres, 2007, 304 p.
- Myers, Garth Andrew, Urban Environment in Africa. A Critical Analysis of Environmental Politics. Policy Press, Bristol, 2016, 214p.
- Nakanabo Diallo, Rozenn. « Sortie(s) de guerre et conservation de la nature. Trajectoire d’un parc national au Mozambique », Gouvernement et action publique, vol. ol8, no. 4, 2019, pp. 97-118.
- Rebeyrolle, Louise. « La fabrique du secteur de l’environnement en Équateur : l’international par le bas et le quotidien des bonnes pratiques », Critique internationale, vol. 88, no. 3, 2020, pp. 31-49.
- Siméant-Germanos, Johanna. « Penser les ingénieries de l’environnement en Afrique à l’aune des sciences sociales du développement », Zilsel, vol. 6, no. 2, 2019, pp. 281-313.
- Thivet, Delphine. « Défense et promotion des « droits des paysans » aux Nations unies : une appropriation oblique de l’advocacy par La Vía Campesina », Critique internationale, vol. 67, no. 2, 2015, pp. 67-81.
- Winsback, Paul-Malo. « L’institutionnalisation d’un ordre régional par circulations. Établir et s’établir en bureaucratie des eaux en Afrique australe », Gouvernement et action publique, vol. ol11, no. 2, 2022, pp. 79-100.
Communications du panel
- « De l’Université, au Think tank, au ministère. Trajectoires professionnelles de consultantes sénégalaises en environnement » par Aguillon IRD Marie-Dominique IRD ;
- Les professionnels de la conservation au Sénégal: Promotion du développement socio-économique et fabrique de l’autorité publique par Diallo Mariama ;
- Quand l’activisme environnementale ouvre les portes à l’ascension professionnelle, éventuellement politique et à la spéculation économique. par Di Matteo Francesca ;
- NGOs as critical drivers of plastic pollution management in Lagos state, Nigeria. par Nnanwube Ebere ; Olutayo Akinpelu ;
- Les formes de (dé)politisation de la gestion de l’eau au Liban par EL BOUHATI Meryam ;
- « Ma maman me disait que j’avais la main verte petit, c’est peut-être pour ça que je travaille au ministère de l’Environnement » : Rapport à l’environnement et au politique des professionnel.les de l’environnement en Équateur par Rebeyrolle Louise ;
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