Le sabar au Sénégal : une danse de femmes, un métier d’hommes
Auteur(s) : Doignon Aurélie ;
Le sabar est la danse populaire et festive du Sénégal, performée par les femmes lors des baptêmes, des mariages, des fêtes de tontine, etc. Seuls les musiciens sont des hommes. En plus des sabars de rue, le folklore des faux-lions est une performance de sabar dansée par les hommes. Aujourd’hui, alors que les sabars de rue restent majoritairement féminins, il n’en est pas de même dans les ballets et les tanebers[1] : ce sont là les lieux où les changements s’opèrent le plus au niveau du genre, et où aujourd’hui, les danseurs, ont redéfinis des gestéités définies comme plus « viriles ». Dès lors, les espaces de pratiques sont cloisonnés par les affiliations de genre. Nous présenterons le rôle joué par le double processus d’artification (Heinich et Shapiro, 2016) et d’esthétisation dans l’établissement des formes du sabar et, conséquemment, des caractéristiques devant être possédées par ceux et celles qui sont reconnus comme danseur.se.s. Cette institutionnalisation des pratiques dansées africaines en courant international (leur mise en savoir) produit des effets importants sur les conditions même de l’émergence du geste dansé sur le sol africain (professionnalisation des danseurs, masculinisation de la pratique, etc.), et sur le genre. La professionnalisation du danseur fait apparaitre des subordinations cachées relatives à l’intersectionnalité des facteurs genre, classe et de couleur. En effet, on observe alors le passage d’une danse communautaire (de femmes) à une danse de spectacle (d’hommes). La nouvelle esthétique, plus rapide, plus aérienne, comme martialisée, permet de parer à l’affiliation d’homosexuel faite aux hommes danseurs. De fait, les hommes réinventent les codes du sabar, qui vont ensuite ré-impactés les pratiques ordinaires.
En nous appuyant sur plusieurs mois de terrains ethnographiques réalisés à Dakar, et sur 40 entretiens menés auprès de danseur.ses et directeur.trices de ballets, nous présenterons le rôle joué par trois institutions locales (un baptême, un taneber, et un ballet professionnel) dans l’établissement des formes du sabar et, conséquemment, des caractéristiques devant être possédées par ceux et celles qui sont reconnus comme danseur.ses. Comment, par l’étude du travail de reconnaissance et de légitimation de ce qu’est le sabar, est-il possible de comprendre les premiers aspects d’une ségrégation genrée de la trajectoire des danseurs.ses sénégalais.es se présentant aujourd’hui sous cette étiquette ? Comment, en se professionnalisant, une danse, portée par les femmes, devient un métier exercé par des hommes ?
Cette étude s’inscrit dans une perspective dynamique, collective et contextualisée dans le but de comprendre les mécanismes et les enjeux liés à la transformation de pratiques sociales ordinaires (danser le sabar au Sénégal) en savoirs artistiques, reconnus voire promus dans l’espace chorégraphique. Comment le sabar, comme patrimoine immatériel devient avec son institutionnalisation un patrimoine « matérialisable » et enseignable à travers lequel les hommes se saisissent de cette aubaine pour en faire un métier d’une part, mais aussi comme cadre porteur de la migration et du mariage interculturel ?
[1] Le taneber ou Grand sabar, est une fête de nuit, où se « fait » un sabar.
Mot-clé : Danse, Genre, Masculinisation, Mise en savoirs, and Professionnalisation
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