Association pour l’anthropologie du changement social et du développement
Association for the anthropology of social change and development

La circulation de la notion « d’autonomisation des femmes » dans le développement et ses effets sur les rapports sociaux de sexe : perspectives critiques

Auteur(s) : Vampo Charlotte ; Wayack-Pambè Madeleine ;

Résumé en Français

Ce panel vise à questionner les effets de la circulation de la notion d’autonomisation des femmes dans le développement sur les politiques de développement, la recherche et les dynamiques sociales. Sur la base de communications empiriques et réflexives issues de travaux menés dans différents pays dits du « Sud », il propose d’analyser des initiatives individuelles et/ou collectives cherchant à modifier et/ou reproduire les rapports sociaux de sexe. L’étude des discours et pratiques des acteurs et actrices sociales dans leur contexte social, politique, économique et historique est favorisée au regard des normes, modèles et concepts circulant dans la globalisation néolibérale.


Argumentaire en Français

L’axe n°5 des objectifs de développement durable des Nations-Unies est dédié à « l’autonomisation des femmes et des filles. » Ce faisant, la notion circule dans le développement, et dans la recherche, le plus souvent en synonyme de l’émancipation des femmes. Un consensus tend à se dessiner autour de l’idée qu’il faudrait les autonomiser, sous- entendu économiquement, pour obtenir l’égalité de genre. Le modèle voyageur en circulation (Rottenburg, Park, Behrends, 2014 ; Olivier de Sardan, Diarra, Moha, 2017) repose sur le mécanisme suivant : en rendant les femmes autonomes individuellement, celles-ci dépasseraient les contraintes sociales qui pèsent sur elles. C’est à partir de ce modèle, fortement axé sur l’individu, que des politiques de micro-crédit par exemple ont été mises en place dans les pays dits du « Sud ». Les femmes sont considérées, dans ce type de schéma, comme des individus « sujet-femme » adapté à la concurrence économique (Saint-Hilaire, 1996) à la fois « autonome, participant, actif […] en apparence moins soumis aux rapports de genre mais intégré ou livré aux rapports marchands » (Destremau, 2009, 2013). Comment réceptionnent-elles les injonctions internationales à l’autonomie ? Quel(s) mot(s) du développement reprennent les acteurs et actrices sociales individuellement et collectivement en contexte ? Pour quelle(s) transformation(s) sociale(s) ?

Pour répondre à ces interrogations, nous proposons plusieurs axes de réflexion possibles :

(1) Comment expliquer la centralité de la valeur de l’autonomie dans le gendermainstreaming ? Ce panel sera l’occasion de développer une approche théorique critique de cette notion qui s’accompagne d’un arsenal de mots tels que « responsabilisation, participation, renforcement des capacités » renvoyant à un concept de genre dépolitisé, devenu éventuellement un « alibi du développement » (Verschuur, 2009). Dans la perspective des travaux M-H. Bacqué et C. Biewener (2013), la notion d’empowerment, ainsi que celle d’autonomisation, permettent-elles de penser le changement social ou sont-elles une expression supplémentaire de la doxa néolibérale qui renvoie toujours plus à la responsabilisation des individus ? La notion d’autonomisation est-elle heuristique dans la recherche ? En reprenant la notion d’autonomisation, la recherche ne reproduit-elle pas les mécanismes théoriques néolibéraux qui dominent le champ du développement ? En démographie par exemple, que mesurent les indicateurs d’autonomisation des femmes ? Dans quelle mesure sontils limités ? Les travaux justifiant l’usage ou non de cette dernière, à partir d’une base empirique et réflexive dans toute discipline, pourraient apporter une contribution significative à la réflexion proposée.

(2) Quelles politiques de développement sont mises en place à partir de la notion d’autonomisation ? Pour quelle(s) finalité(s) ? Quels sont leurs effets concrets sur les rapports sociaux de sexe ? Nous encourageons les communications traitant notamment du micro-crédit.

(3) Comment et pourquoi les acteurs et actrices sociales se réapproprient (ou non) ce terme ? Quel(s) autres mots sont privilégiés dans différents contextes ? On pourrait reprendre la question soulevée par D. Lacombe et E. Marteu (2015) suivante : La globalisation du genre, accompagnée de la diffusion de la notion d’autonomisation en l’occurrence, donne-t-elle à voir une dépolitisation de l’action collective des femmes ? Nous serions intéressées d’avoir des communications sur des dynamiques collectives, féministes ou non, dans différentes parties du monde, qui visent à modifier ou à maintenir les rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes. Nous encourageons l’étude des mots utilisés par les acteurs et actrices en présence. Les communications replaçant les initiatives individuelles ou les mobilisations collectives dans un contexte globalisé de révolte #metoo, #balancetonporc et de luttes contre les violences faites aux femmes sont attendues également.

Bibliographie :

Bacque Marie-Hélène, Biewener Carole, 2013, L’empowerment : une pratique émancipatrice, La Découverte.

Destremau Blandine, 2009, « Les droits sociaux à l’épreuve des droits humains : les limites de la solidarité internationale », in Borgeaud Garcianda N., Lautier B., Peñafiel R., Tizziani A. (dir.), Penser le politique en Amérique latine, Karthala, Paris, pp. 149-164.

Destremau Blandine, 2013, « Au four, au moulin… et à l’empowerment. La triple captation et l’exploitation du travail des femmes dans le développement, dans Maruani Margaret », Travail et genre dans le monde, pp. 89-97.

2

Lacombe Delphine, Marteu Élisabeth, « Une « dépolitisation » de l’action collective des femmes ? Réflexions croisées sur le Nicaragua et la Palestine », L’Homme & la Société, 2015/4 (n° 198), p. 127-148.

Olivier de Sardan Jean-Pierre, Aïssa Diarra, and Mahaman Moha, 2017, “Travelling Models and the Challenge of Pragmatic Contexts and Practical Norms: The Case of Maternal Health”, Health Research Policy and Systems, 15(Suppl 1): 60.

Rottenburg, Richard, Sung-Joon Park, and Andrea Behrends, 2014, “Travelling Models: Introducing an Analytical Concept to Globalisation Studies”, pp. 1 – 40, in Travelling Models in African Conflict Management: Translating Technologies of Social Ordering, Africa-Europe Group for Interdisciplinary Studies, Leiden ; Boston : Brill.

Saint-Hilaire Colette, 1996, « La production d’un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la recherche féministe aux Philippines », Anthropologie et Sociétés, vol°20, n°1, pp. 81102.

Verschuur Christine, 2009, « Quel genre ? Résistances et mésententes autour du mot “genre” dans le développement », Revue Tiers Monde, n°200, pp. 785-803.


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