Les femmes diplômées du supérieur et l’organisation du travail domestique à Dakar. Quels liens entre trajectoires exceptionnelles et émancipation féminine ?
Auteur(s) : Laure MOGUEROU ;
Les postulats sous-jacents aux injonctions des bailleurs de fond et institutions internationales d’aide au développement –traduits, réinvestis et réappropriés dans les politiques nationales des pays dits en développement–lient, presque mécaniquement, scolarisation des filles, emploi des femmes et « émancipation féminine » (Calvès, 2014). Le Sénégal n’échappe pas à cette tendance générale : le pays s’est engagé en 2015 à atteindre 17 objectifs de développement durable d’ici à 2030, dont le N°5 relatif à « l’autonomisation des femmes et des filles » et a élaboré un cadre politique de référence en faveur de « la promotion de la femme » et de « l’égalité des femmes et des hommes », la stratégie nationale d’égalité et d’équité de genre (pour la période 2016-2026). Ces textes présentent l’éducation des filles et le travail des femmes comme jouant un rôle central dans le processus d’émancipation féminine.
En m’appuyant sur les données d’une enquête inédite conduite à Dakar combinant matériaux quantitatifs et qualitatifs, je montrerai que cette évidence mérite d’être examinée de plus près. L’attention sera centrée sur les femmes dakaroises en couple, actives, et de niveau scolaire supérieur. Ces femmes restent marginales d’un point de vue statistique –elles représentaient moins de 10% des femmes de 25-50 ans dans la région de Dakar selon les données du dernier recensement de la population (2013)– mais apparaissent comme un point d’observation stratégique. Elles sont en effet celles susceptibles de connaître un « desserrement des contraintes matérielles qui fondent l’assignation prioritaire des femmes au domestique et à la carrière maritale comme seule stratégie d’insertion sociale et d’accès (indirect) aux ressources économiques » (Delphy, 1970). S’intéresser à ces trajectoires féminines relativement « exceptionnelles » permettrait ainsi de saisir les effets émancipatoires de leur irruption dans des bastions qui se conjuguent, encore aujourd’hui, essentiellement au masculin : acquièrent-elles ainsi la capacité à contourner les contraintes familiales, matrimoniales ou statutaires qui pèsent sur elles ? Se saisissent-elles de ces opportunités pour « se libérer, individuellement et/ou collectivement, des structures oppressives qui perpétuent la domination masculine » (Adjamagbo, Calvès, 2012) ?
Pour répondre à ces questions, nous centrerons l’analyse sur l’organisation matérielle du travail domestique et de care familial et sur les discours sur cette organisation. A l’instar de Lapeyre et le Feuvre (2004), il nous semble que la manière dont les femmes racontent leurs pratiques quotidiennes en la matière constitue « un indicateur empirique assez fiable de leur positionnement – objectif et subjectif – par rapport au système dominant du genre». Par ailleurs, ces mêmes discours permettent « de caractériser le potentiel de transgression de la hiérarchie sexuée » que représente l’accès des femmes à des positions qui étaient jusqu’alors occupés par des hommes. Ce faisant les analyses permettront de statuer sur la capacité (et volonté) de ces femmes éduquées et actives à résister aux injonctions sociales et à lutter pour une égalité réelle dans la vie de tous les jours.
Mot-clé : dakar, éducation des filles, émancipation, emploi des femmes, organisation domestique, rapports de genre, and Sénégal
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