Association pour l’anthropologie du changement social et du développement
Association for the anthropology of social change and development

Genre et développement : un terrain contesté

Appel à contributions pour Anthropologie & développement n°55/ 2024

Coordinatrices: Anneke Newman (UGent), Elena Aoun (UCLouvain), Alena Sander (UCLouvain)

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 Ce numéro spécial d’Anthropologie &développement invite les contributeur.es à placer les relations entre genre et développement (G&D) à la loupe en décortiquant, au moyen d’études de cas empiriques fines, la manière dont les concepts liés au genre, à la sexualité, au féminisme et à la décolonisation sont imaginés, produits, imposés, appropriés et contestés au travers de pratiques et de projets de développement.

Faire le genre dans le développement

Comme point de départ, nous considérons que le « développement » comprend l’industrie des agences d’aide, des ministères, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, et des institutions de savoir y compris les ‘think tanks’, qui se consacrent à la production d’un résultat (le développement), mais aussi à leur propre reproduction par le biais de discours, de techniques et de processus visant à provoquer le changement (White, 2006, p. 56). Les chercheur.es universitaires et les départements universitaires sont donc également impliqués dans le tissu du développement en tant que producteur.es de connaissances et d’enseignant.es/formateurs.trices des futur.es professionnel.les du développement.

En tant que sous-domaine du développement, le G&D trouve ses origines dans les critiques féministes de la fin des années 1970, qui reprochaient aux approches du développement de ne pas tenir compte des besoins et des expériences spécifiques des femmes, reproduisant ainsi les inégalités entre les hommes et les femmes. Depuis le milieu des années 1980, les questions et programmes de G&D ont connu un véritable essor. Le champ cherche à transformer les relations de pouvoir, à remettre en question les normes contraignantes liées au genre et à la sexualité, à promouvoir la justice sociale et l’égalité dans les processus de développement et leurs résultats afin d’améliorer le bien-être des femmes, des enfants et (parfois) des groupes marginalisés par l’hétéro-normativité et la cis-normativité. Le travail dans le domaine du G&D implique la recherche et la production de connaissances pour comprendre la dynamique complexe des inégalités liées au genre et à la sexualité et leurs implications pour le développement, connaissances qui sont ensuite utilisées pour élaborer des politiques et la conception des programmes. Les activités courantes comprennent l’élaboration de politiques et la défense des intérêts des femmes, l’intégration de la dimension de genre et le renforcement des capacités des individus et des institutions. Les principaux domaines d’intervention sont l’autonomisation économique et politique, la santé et les droits sexuels et reproductifs, et la réduction de la discrimination et des violences fondées sur le genre – et de plus en plus l’homophobie et la transphobie.

Loin d’être hégémonique, le champ du G&D est parsemé de contradictions, où des intérêts divers et concurrents s’affrontent. Ce numéro spécial cherche à explorer ces dynamiques dans la conjoncture actuelle, où le G&D est confronté à une critique et une résistance croissante de la part de la « droite » traditionnelle (forces politiques conservatrices et fondamentalismes religieux) et de la « gauche » (mouvements postcoloniaux et décoloniaux, féministes, activistes queer, etc.).

Genre et sexualité : Quelles définitions pour quels avenirs, et par quels moyens ?

Le principe même du G&D – réduire les inégalités entre les hommes et les femmes – est sujet à controverse. La question de savoir si le terme « genre » est utilisé dans le discours et les interventions pratiques pour désigner les femmes, ou les relations complexes et co-construites entre les féminités, les masculinités et d’autres catégories genrées, est depuis longtemps un point de désaccord entre les différents acteurs travaillant dans ce domaine (Kanji, 2003). La compréhension de ce que recoupe exactement le « genre », le « sexe », l’ « orientation sexuelle », l’ « identité de genre/sexuelle » et la nature exacte de leur relation avec les inégalités politiques et économiques reste très discutée – l’existence d’ontologies de genre et de normes culturelles contrastées parmi les différents organismes donateurs, organisations et membres des communautés étant souvent source de confusion et de conflit (Waites, 2018 ; Istratii, 2021).

De plus, si la compréhension du présent est un sujet de débat, ce n’est rien comparé aux désaccords sur les résultats escomptés du G&D – à savoir les normes, les droits ou les relations de genre idéales que les acteurs s’efforcent de mettre en oeuvre. Enfin, les anthropologues soulignent depuis longtemps que les relations entre les visions, les objectifs, les approches et les résultats du développement ne sont jamais linéaires, mais plutôt chaotiques et imprévisibles. La mise en oeuvre de méthodes conçues pour instaurer « l’égalité » entre les hommes et les femmes (quelle qu’en soit la définition) – telles que l’ « autonomisation des filles », les « approches fondées sur les droits de l’Homme » ou, plus récemment, les « approches transformatrices en matière de genre », pour n’en citer que quelques-unes – produit des résultats complexes et divers.

Les contributeur.es à ce numéro spécial sont invité.es à étudier de manière critique ces dynamiques dans des contextes spécifiques, notamment en se concentrant sur la diversité des perspectives liées au genre et à la sexualité, et sur les dynamiques de pouvoir en jeu dans la définition de la direction et des modalités des processus de changement.

Perspectives féministes, queer et décoloniales en pratique

Malgré ses origines, depuis que le G&D s’est institutionnalisé, ses politiques, programmes et méthodes n’ont pas nécessairement été nourris par une approche théorique ou politique explicitement féministe (Kanji, 2003). Cependant, dans la réalité, la production intellectuelle féministe et les mouvements activistes ne sont jamais loin du G&D. Cela peut prendre la forme de présupposés souvent implicites sur le genre, reflétant des paradigmes théoriques féministes largement issus des Etats-Unis ou de l’Europe du Nord/de l’Ouest, qui imprègnent les objectifs et les stratégies des donateurs et des organisations dominantes sur le terrain (Jolly, 2011 ; Istratii, 2021). Cette relation peut également être observée dans les critiques virulentes du G&D formulées par des commentateurs féministes postcoloniaux et queer au cours des dernières décennies (Mama, 1997 ; Jolly, 2000, 2011 ; Falquet, 2011 ; Verschuur et Destremau, 2012 ; Arnfred, 2014). Récemment, cette critique a été amplifiée et mise au goût du jour à la suite d’appels lancés par des activistes et des chercheurs critiques en faveur de la décolonisation du développement. Il en a résulté une augmentation des publications de féministes et de personnes racisées et queer des Suds, exigeant un transfert de la prise de décision, des ressources et de la production de connaissances des Nords vers les Suds en ce qui concerne le G&D (Weerawardhana, 2018 ; Vergès, 2019 ; Tamale, 2020 ; Khan, Dickson et Sondarjee, 2023).

Cependant, d’autres voix considèrent que le mouvement actuel de « décolonisation du développement » a été coopté par les agendas des acteurs et des institutions des Nords, et affirment que son articulation et sa mobilisation actuelles restent éloignées des réalités et des luttes des personnes qui subissent les inégalités globales et qui sont ciblées par les interventions de développement (Opara, 2021). Dans le même temps, d’autres ont montré comment, tout comme les mouvements féministes dominés par les femmes blanches dans les Nords, les collectifs féministes dans les Suds peuvent également être exclusifs et reproduire les hiérarchies locales, notamment en fonction de la classe, de la maîtrise des langues europhones, de l’emplacement urbain, des niveaux d’éducation, de l’ethnicité, de la religion, de l’hétéro-normativité et de la cisnormativité, etc. (Mohammed, 2022).

En définitive, peu d’études analysent de manière critique la façon dont les donateurs et les organisations travaillant dans le domaine du développement – au-delà des groupes militants et des mouvements sociaux – définissent, comprennent ou mettent en oeuvre le « féminisme », l’ « inclusion des personnes queer » et/ou la « décolonisation » dans le contexte des débats actuels. Les contributeur.es à ce numéro spécial sont donc invité.es à analyser, par le biais d’études de cas empiriques, comment les concepts, théories ou méthodes issus de diverses traditions intellectuelles et militantes postcoloniales, décoloniales, féministes et/ou queer sont mobilisés ou appropriés dans la pratique du développement – que ce soit en relation avec la production de connaissances, l’élaboration de politiques ou la conception de programmes – ainsi que les agendas et logiques qui sous-tendent ces stratégies, et quelles dynamiques ou relations de pouvoir sont (re)produites par le biais de ces activités.

Calendrier de publication

Les propositions d’articles sont à soumettre pour le 4 septembre 2023 à Anneke Newman, anneke.newman@ugent.be et à la rédaction de la revue revue@apad-association.org. Les propositions d’articles peuvent être rédigées en français ou en anglais et présentent un projet d’environ 4,000 signes (espaces compris), soit environ 500 mots. La proposition doit comprendre : un titre ; un résumé détaillant la question de recherche, la positionalité des auteur.es, le cadre théorique, le terrain étudié, et les principaux résultats ; des jalons bibliographiques (hors du décompte des signes). La proposition doit inclure les noms et prénoms des auteur.es, leur statut et leur rattachement institutionnel, ainsi que leur adresse électronique.

4 septembre 2023Soumission des propositions d’article à la revue.
14 septembre 2023Les auteur.es seront averti.es des contributions présélectionnées par les coordinatrices et le comité de rédaction de la revue.
10 novembre 2023Soumission des premières versions des articles conformes aux consignes de la revue.
Dernier trimestre 2024Publication du numéro thématique.

References

Arnfred, S. (2014) ‘Battlefields of knowledge: conceptions of gender in development discourse’, in Cooper, B. and Morrell, R. (eds) Africa-centred knowledges: crossing fields and worlds. Woodbridge: James Currey, pp. 51–63.

Falquet, J. (2011) ‘Les « féministes autonomes » latino-américaines et caribéennes : vingt ans de critique de la coopération au développement’, Recherches féministes, 24(2), pp. 39–58.

Istratii, R. (2021) Adapting gender and development to local religious contexts: A decolonial approach to domestic violence in Ethiopia. London: Routledge.

Jolly, S. (2000) ‘“Queering” Development: Exploring the Links between Same-Sex Sexualities, Gender, and Gender and Development’, Gender and Development, 8(1), pp. 78–88.

Jolly, S. (2011) ‘Why is development work so straight? Heteronormativity in the international development industry’, Development in Practice, 21(1), pp. 18–28.

Kanji, N. (2003) Mind the Gap: Mainstreaming gender and participation in development. London and Brighton: International Institute for Environment and Development (IIED) and Institute for Development Studies (IDS).

Khan, T., Dickson, K. and Sondarjee, M. (2023) White Saviorism in International Development: Theories, Practices and Lived Experiences. Daraji Press.

Mama, A. (1997) ‘Sheroes and villains: conceptualizing colonial and contemporary violence against women in Africa’, in Alexander, J. M. and Mohanty, C. T. (eds) Feminist Genealogies, Colonial Legacies, Democratic Futures. New York, NY: Routledge.

Mohammed, W. F. (2022) ‘Why we need intersectionality in Ghanaian feminist politics and discourses’, Feminist Media Studies. doi: 10.1080/14680777.2022.2098798.

Opara, I. N. (2021) It’s Time to Decolonize the Decolonization Movement, PLOS BLOGS: Speaking of Medicine and Health. Available at: https://speakingofmedicine.plos.org/2021/07/29/its-time-to-decolonize-the-decolonization-movement/ (Accessed: 7 June 2023).

Tamale, S. (2020) Decolonization and Afro-feminism. Daraja Press.

Vergès, F. (2019) Pour un féminisme décolonial. Paris: La Fabrique.

Verschuur, C. and Destremau, B. (2012) ‘Féminismes décoloniaux, genre et développement : Histoire et récits des mouvements de femmes et des féminismes aux Suds’, Revue Tiers Monde, 209, pp. 7–18.

Waites, M. (2018) ‘Critique of “sexual orientation” and “gender identity” in human rights discourse: Global queer politics beyond the Yogyakarta Principles’, in Mason, C. L. (ed.) Routledge Handbook of Queer Development Studies. London: Routledge.

Weerawardhana, C. (2018) ‘Decolonising development work: A transfeminist perspective’, in Mason, C. L. (ed.) Routledge Handbook of Queer Development Studies. London: Routledge.

White, S. C. (2006) ‘The “gender lens”: a racial blinder?’, Progress in Development Studies, 6(1), pp. 55–67.