Association pour l’anthropologie du changement social et du développement
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Affects d’anciens combattants sénégalais et États postcoloniaux

Affects d’anciens combattants sénégalais et États postcoloniaux

Auteur(s) : Mourre Martin ;

Il existe une littérature conséquente, en histoire, sur les tirailleurs dit sénégalais de l’armée française. Quelle que soit la période historique appréhendée, cette littérature évoque presque toujours, à juste titre, le peu de reconnaissance de l’état français à l’égard de ces hommes après l’indépendance. Est notamment mentionné, dans cette littérature, la loi de finance française de 1959 qui a généré une « cristalisation » des pensions de ces hommes – c’est-à-dire que ces pensions ont été gelés pendant plusieurs décennies pour ces soldats ouest-africains. Si depuis 2011 ces montants ont été alignés, reste un fort sentiment d’injustice dans beaucoup d’opinons publique ouest-africaines, notamment au Sénégal lieu de notre étude. En un sens, le traitement des anciens combattants coloniaux agit comme un paradigme pour étudier des mémoires collectives coloniales franco-ouest-africaines, mémoires portées par des acteurs, des groupes sociaux ou des institutions. Et parce que ces mémoires collectives sont avant tout des discours énoncés au présent, elles sont naturellement remplies d’affects.

Ainsi, d’un point de vue institutionnel, la gestion du traitement matériel de ces hommes a été prise en charge au moment des indépendances par les nouveaux états indépendants, avec la création d’Offices nationaux des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Au Sénégal, c’est un décret de juillet 1961 qui officialise cette entité et qui en fixe les principales règles de fonctionnement. Une des spécificités actuelles de cette institution est que les agents de l’état qui y exercent – un directeur, un comptable, des secrétaires – sont, en grande majorité, eux-mêmes des anciens militaires, qui partagent une même expérience historique que ceux dont ils ont la charge de gérer les demandes. À partir d’une approche historiques et d’observation participante, cette communication cherche à apporter quelques réflexions sur les affects d’un état postcolonial, l’état Sénégalais, à partir de différentes traces – hommes, textes, mais aussi bâtiments – issue de sa généalogie coloniale.

Il s’agira d’abord de retracer les diverses réformes administratives qui ont touché cette institution depuis sa création. Ce travail d’archives n’est pas sans lien avec une histoire des émotions. Les diverses protocoles franco-sénégalaises de gestion de l’Office indiquent à quel point l’état sénégalais doit être saisis dans une dimension relationnelle avec l’ancienne métropole. Dans une seconde partie, il s’agira de saisir, au niveau des hommes, agents et pensionnés, certaines interactions qui s’expriment dans cet espace qu’est l’ONACVG. Dans le bureau dakarois de l’ONACVG du Sénégal, à « la maison du combattant », on croise ainsi des anciens militaires de différentes générations, coloniaux et postcoloniaux. Au cours d’entretiens menés depuis plusieurs années à la maison du combattant, j’ai  pu relever l’expression de valeurs de dignité, d’honneur, des évocations d’humiliations, d’injustice, parfois l’espoir d’une amélioration de son traitement, etc. Ces expressions, parfois non verbales, se disent sur un certain mode quand elles sont avancées en présence d’autres anciens combattants partageant la même condition historique. Ces affects exprimés presque quotidiennement dans ce lieu peuvent aussi être réactivés par d’autres services de l’état, notamment au moment de commémorations, informant alors d’une manière empirique le lien entre état et nation.

 

 

 


Mot-clé : Affect, Ancien combattant, mémoire coloniale, et Sénégal

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