Association pour l’anthropologie du changement social et du développement
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Des motos Made in Chinafrica : comment une « chinoiserie » devient un objet de désir

Des motos Made in Chinafrica : comment une « chinoiserie » devient un objet de désir

Auteur(s) : Blundo Giorgio ;

Dans la littérature décryptant les relations entre la Chine et l’Afrique, l’étude des mobilités humaines a longtemps prévalu sur celle de la circulation de biens et marchandises. Relégués habituellement à l’arrière-plan sous un dénominateur commun – des copies de mauvaise qualité au prix abordable –, les produits manufacturés chinois, et leur inscription dans les sociétés africaines, commencent à être pris au sérieux par des travaux qui montrent les multiples usages, perceptions et pratiques socioculturelles que suscite l’importation de produits industriels chinois (cf. Khan Mohammad 2016 et Sylvanus 2016).

S’inscrivant dans cette trajectoire, ma contribution suggère qu’il est possible de comprendre à nouveaux frais la réception des produits chinois en Afrique, en déplaçant le regard du seul lieu de consommation à l’ensemble d’une chaine globale d’approvisionnement et de valeur. Autrement dit, en s’intéressant également à la face cachée des produits chinois, celle qui a trait à leur conception et leurs modalités de production et de diffusion.

Le cas présenté ici portera sur la filière des motos chinoises. En une vingtaine d’années, l’Afrique est devenue un des principaux marchés des deux roues fabriquées en Chine, absorbant désormais un quart de sa production à l’exportation.

Je discuterai les résultats d’une ethnographie qui, à partir du Togo, la principale porte d’entrée des motocyclettes de fabrication chinoise en Afrique de l’Ouest, a investi les sites où se rencontrent les professionnels africains et chinois du secteur pour identifier un fournisseur, dénicher ou créer un nouveau modèle, régler des problèmes de fiabilité avec un fabriquant ou passer commande : la foire de Canton, le Baiyun Motorcycle Market, ainsi que des usines aux capacités productives et technologiques inégales dans les districts industriels du Guangdong, de Chongqing et de Luoyang.

En examinant les « biographies » à succès – et les échecs – de quelques modèles ou marques dans leur circulation entre la Chine et l’Afrique de l’Ouest, je montrerai par quels acteurs et processus ces « chinoiseries », initialement dévalorisées et dépourvues d’une identité propre, sont devenues, pour certaines marques tout au moins, des objets désirables et valorisants.

Par des aller-retours entre les lieux de conception, production, distribution et consommation, et le croisement des regards et des pratiques observés tout au long de la chaine d’approvisionnement, je soulignerai la très grande interdépendance entre importateurs africains et fabricants chinois.

On verra que les débats des consommateurs et des commerçants togolais ou ouest-africains sur le design, les performances, la qualité des motos, la copie et la contrefaçon prennent leur source bien en amont, dans ces usines globalisées pouvant fournir plus d’une centaine de pays simultanément, prospérant grâce au système « OEM » et orientant leur production en fonction des suggestions de clients situés dans des marchés fort éloignés. Ils se poursuivent dans les rues et les show-rooms togolais à travers des formes de « marketing frugal », par le concours des revendeurs, le rôle central des mécaniciens, le bouche-à-oreille des usagers.

En dépit des nombreuses contraintes qui encadrent et orientent la production motocycliste chinoise, ces engins sont aussi et surtout des assemblages sino-africains, alimentés par des représentations mutuelles, des astuces techniques, des désirs partagés de réussite et d’élévation sociale.


Mot-clé : chaine d'approvisionnement, Chine, circulation, marchandise, Moto, et Togo

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