Association pour l’anthropologie du changement social et du développement
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Mobilités, réelles et imaginaires, au regard des discours sorcellaires

Mobilités, réelles et imaginaires, au regard des discours sorcellaires

Auteur(s) : Desq Coline ;

Dans le village d’Hanyigba-Todzi, au Sud-Ouest du Togo, en pays éwé[1], les discours sorcellaires dénotent des distinctions de genre tant du point de vue des ensorcelé.es que des sorciers et sorcières. Selon les ensorcelé.es potentiel.les, les attaques sorcellaires altèrent généralement la capacité génésique des femmes et la mobilité des hommes. À la fois la mobilité physique, à travers des gonflements de pieds provoqués par une poudre noire (eti), et la mobilité sociale qui serait freinée par la sorcellerie des personnes âgées. Les discours des ensorcelés font ressortir en creux la mobilité « idéale » des hommes. Mobilité physique et mobilité sociale étant intrinsèquement liées, ils aspirent à “aller ailleurs pour devenir quelqu’un”. Leur ambition est de quitter le village pour avoir l’opportunité de trouver un travail salarié tout en s’éloignant de leurs parents et de leur influence sorcellaire, pour revenir au village une fois vieux.

De plus, la mobilité est intrinsèquement liée aux processus de guérison. Si quelqu’un est victime d’une attaque sorcellaire dans son village natal, il doit s’en éloigner pour consulter un contre-sorcier (pasteur, prêtre-exorciste ou devin-guérisseur bokono), afin que son sorcier n’en sache rien. À l’inverse, si un homme est victime d’une persécution sorcellaire loin de son village, il doit y retourner pour trouver la guérison. Ainsi, en altérant la mobilité, les sorciers rendent plus difficile le processus de guérison. En outre, voilà encore une autre manière de retenir les hommes au village : les forcer à y revenir. Mais même une visite temporaire les effraie car elle offrirait l’occasion aux sorciers, jaloux de leur « réussite » (réelle ou supposée), de leur nuire. Pour les émigrés il est tout aussi dangereux de revenir au village que de couper les liens avec ses parents. Le langage sorcellaire exprime une réalité sociale : les hommes sont, plus que les femmes, liés à leur village natal par les responsabilités familiales et les obligations de redistribution de richesses.

Selon la norme, la mobilité des femmes devrait être régie par la règle de virilocalité, mais en pratique c’est loin d’être le cas pour la majorité. Elles ont une mobilité légèrement plus importante que les hommes au niveau du quartier et de la ville, par contre les hommes changent plus de pays que les femmes. Les revendeuses ont une mobilité pendulaire. Elles achètent les produits agricoles au village, les revendent à la capitale, y achètent des condiments et les revendent au village. Elles sont particulièrement visées par les soupçons et les accusations sorcellaires : elles attireraient la clientèle grâce à un grigri particulier (asiyo) à qui elles offriraient des âmes, afin d’accumuler de l’argent. Cet asiyo leur donnerait la capacité de “sortir de leur corps en esprit”, pouvoir de mobilité extrême des sorcières, qui peuvent avoir leur corps à l’intérieur de la chambre, tout en ayant leur esprit (luvo) à l’extérieur, et se déplacer très rapidement pour capturer leurs proies. Mobilité réelle de la revendeuse et mobilité imaginaire de la sorcière se confondent. Ainsi, les discours sorcellaires révèlent une distinction genrée des circulations : l’immobilité – physique et sociale – des hommes ensorcelés s’oppose à la mobilité extrême – réelle et imaginaire – des revendeuses sorcières.

[1] Les données ethnographiques sont issues de recherches de terrain d’une durée cumulée de 15 mois, dans le village d’Hanyigba-Todzi et ses alentours.


Mot-clé : ewe, Genre, sorcellerie, and Togo

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